Peu importe la taille des étagères...
" Il y a des gens qui ont une bibliothèque comme les eunuques ont un harem. "
Victor Hugo (... chrono...)
Le désir de possession est caractéristique fondamentale de l'être humain, comme si notre valeur pouvait se mesurer par l'évaluation de ce que l'on peut concrètement soupeser. Il en va ainsi pour la culture, posséder de nombreux livres permet de sous-entendre que l'on possède une grande culture... Mais posséder des livres ne saurait suffire... il faut aussi les lire... si l'on veut en tirer un bénéfice plus grand.
Certains pensent qu'il faut lire "intelligent", c'est-à-dire des livres qui sont censés "enseigner" quelque chose, qui traitent d'un sujet "sérieux"... et que le roman n'est que perte de temps. Dérivé de l'imagination, il s'écarte de la réalité et n'apporte rien de tangible et appropriable pour s'améliorer notre connaissance de l'existence...
Quelle tristesse d'accompagner le mot "lecture" avec le qualificatif "utile"... La lecture est devenue quelque chose d'incontournable, d'essentiel... bien plus qu'utile... mais elle est aussi Sésame magique pour voyager hors du monde, dans des histoires improbables, qui parfois, nous en apprennent plus que toutes les théories "utiles" et irréfutables de nombreux essais ou ouvrages de vulgarisation...
La littérature ouvre l'esprit, dans la mesure où ces personnages imaginaires trouvent là, le lieu pour exprimer, et vivre tous les possibles qu'il nous est refusé de vivre, par impossibilité ou incapacité... Terrain de projection sans limites et sans frontières, la création romanesque est un macrocosme sociologique au vivier intarissable, qui nous propulse de mots en mots dans des aventures extraordinaires... même quand elles se passent dans un cadre ordinaire...
Les gens qui ne lisent pas de livres, heureusement, ne savent pas ce qu'ils perdent de la légère euphorie que provoque la fin d'un livre qui nous a transporté...
S'ils venaient à en avoir connaissance, ils regretteraient sans aucun doute, tout ce temps perdu à dépoussiérer les couvertures anonymes de leurs volumes bien rangés sur les étagères de bibliothèques d'agrément...
On reconnait les bibliothèques "factices" à l'ordre qui y règne... et à l'harmonie des couvertures... Quand le sens de l'esthétique prime sur le choix des auteurs, on peut soupçonner que personne ne feuillette jamais les livres qui s'offrent au regard, plus qu'à la frénésie des doigts qui tournent, captivés, les pages les unes après les autres...
Les livres dont la couverture ne présente aucun défaut d'usage sont, soit possédés par des personnes extrêmement méticuleuses, soit au contraire livrés à leurs étagères sans espoir de s'ouvrir un jour...
Les livres témoignent de leur usage par eux-mêmes... Il n'est qu'à les regarder de l'extérieur pour juger de leur état de service, du plaisir qu'ils ont, ou n'ont pas procuré...
Les livres écornés, marqués en tous points de leurs tranches, dont la couverture s'est assouplie avec le temps, craquelés, tâchés parfois même, ont une autre histoire à raconter en plus de celle qu'ils contiennent initialement, c'est celle de leur vie propre, leur voyage de mains en mains jusqu'au coeur des gens...
Mais... il y a pire que posséder une bibliothèque factice... c'est de n'en point posséder du tout......